Dans le cadre du 10e cycle des Cours publics de l’École de Chaillot dont le thème est Patrimoines et territoire. Agir pour le climat au 21e siècle, la 10e session s’intitule :
l’horizon se rapproche
Appel à la médiation des paysages culturels dans l’adaptation littorale aux effets du changement climatique
jeudi 07 avril 2016
auditorium de la Cité de l’architecture et du patrimoine, 1 place du Trocadéro et du 11 novembre 75116 Paris
Résumé de l’intervention
Qu’est-ce que le littoral et comment faut-il l’envisager sous les transformations du changement climatique ?
Pensons tout d’abord le trait de côte comme une limite fluctuante qui a beaucoup bougé et qui évoluera encore avec l’élévation du niveau de la mer. Pensons maintenant le littoral comme une épaisseur vécue, plus ou moins profonde selon la perception culturelle de nos pratiques. Nous obtenons à la fois un système géographique mobile et un paysage culturel mouvant. Dés lors, la culture devient un vecteur de médiation pour mieux prendre conscience des effets du changement climatique et au-delà, une opportunité pour engager une nécessaire transformation des modèles et adapter les territoires à ce nouveau paradigme.
Plan
1. Le littoral en question (introduction)
> Une approche du littoral entre culture, paysage et climat
> Fluctuation de l’espace littoral
(fluctuation du trait de côte en Charente-Maritime, Brouage, La Baule et Fort-de-France)
2. Phénomènes naturels, risques et effets du changement climatique
> Les aléas littoraux
(Frontignan, les falaises normandes, Soulac-sur-Mer, la Faute-sur-Mer)
> Les effets directs du changement climatique
(augmentation des températures, élévation du niveau moyen des mers et impacts spécifiques sur les outre-mer)
> Les effets insoupçonnés du changement climatique
3. Éclairages internationaux (interlude)
(Venise, Les Pays-Bas, l’État de New-York, Banda Aceh (Indonésie), Hambourg, Saint-Louis (Sénégal), Portsmouth)
4. Expérimentations françaises d’adaptation littorale
> Versus se défendre contre la mer
> Maritimisation et ré-estuarisation
(La plaine côtière du Centurion (Hyères))
> Repli stratégique et recomposition spatiale
(le lido de Sète, la falaise d’Ault)
> Médiation
(La Rochelle, aires marines éducatives en Polynésie Française)
5. Vers une culture de l’adaptation (conclusion)
> Des projets d’interface terre-mer à inventer
> Médiations paysagères
Extraits
FLUCTUATION DU TRAIT DE CÔTE
Le trait de côte évolue constamment au gré de l’érosion ou de l’accrétion mais aussi sur des temps plus long en fonction des transgressions et récessions marines. Son appréhension par la cartographie fut lente montrant par là même qu’il s’agit autant d’un fait géographique que d’une construction culturelle.



Une brève définition du trait de côte
Le trait de côte correspond à la laisse des plus hautes mers dans le cas d’une marée astronomique de coefficient 120 et dans des conditions météorologiques normales. Mais quelle est la longueur des côtes françaises à ce jour ? La nature fractale de la côte conduit à une longueur qui dépend de l’unité de mesure. L’érosion et l’élévation prévisible du niveau de mer d’ans un sens, l’accrétion (dépôt d’alluvions) et la poldérisation dans l’autre, font varier le linéaire.
La côte, du fait de son découpage, est de nature fractale suivant en cela « l’effet Richardson ». L’IGN indique que le trait de côte le long des 3 façades maritimes françaises est estimé à 5 850 km (1 948 km de côtes sableuses, 1 316 km de marais et vasières, 2 269 km de côtes rocheuses). Selon United States Defense Mapping Agency, cette longueur serait de 7 330 km. Selon l’ancienne mission interservices de la mer et du littoral, le trait de côte « lisse » mesure 3 240 km et avec « anfractuosités » 7 200 km… Nous voyons par là que le trait de côte est une abstraction géométrique.
Occupation humaine et cartographie
Longtemps, le rivage fut délaissé du fait de son insalubrité (la frange littorale étant alors essentiellement constituée de marais où proliféraient les moustiques) et de l’impossibilité de mise en culture. Pourtant, il constitua tour à tour un enjeu spirituel de lutte contre la nature hostile avec l’assèchement des marais par les ordres monastiques et un enjeu politique et militaire de défense des frontières maritimes françaises.
En 1662, Colbert demande à l’Académie des Sciences qu’il soit fait une cartographie exacte des frontières du royaume avec l’établissement d’un canevas astronomique qui aboutira à la publication en 1693 d’un atlas : le « Neptune françois ». Parallèlement, une cartographie plus fine à vocation militaire verra le jour : La Favolière va réaliser les cartes du Bas Poitou, de Saintonge et Guyenne de 1670 à 1677 tandis que Claude Masse réalisera dès 1679 des aménagements de fortifications pour l’Île de Ré, Bayonne, et Rochefort tout en menant de front des travaux cartographiques. Grâce à la première Triangulation géodésique de la France, Cassini de Thury présenta en 1744 un tracé du littoral proche de la réalité. En moins d’un siècle, le trait de côte était désormais « fixé » par la cartographie. Aujourd’hui nous avons recours à la photographie aérienne et l’observation par satellite pour le délimiter encore plus précisément et observer ses variations.
Ce faisant nous avons conceptuellement réduit un système géomorphologie et écologique complexe entre l’espace terrestre de l’espace maritime à l’épaisseur d’un trait.
Fluctuation historique
D’autre part, la position du trait de côte est mobile par nature. Le niveau de la mer était 100 m plus bas il y a 10 000 ans et a dépassé le niveau actuel voici moins de 3 000 ans. À l’époque gauloise, le rivage charentais était plus reculé pour former les golfs des Pictons et des Santons. Depuis, le retrait de la mer associé à la poldérisation et l’assèchement des marais ont permis l’anthropisation de nouvelles terres. Aujourd’hui, nous sommes confrontés au phénomène inverse d’érosion marine qui induit un recul du trait de côte. Ce recul est accentué par le risque de submersion temporaire. La tempête Xynthia (2010) ou les tempêtes de l’hiver 2013 / 2014 ne sont pas exceptionnelles en elles-mêmes puisque les études historiques montrent que 30 tempêtes du même type ont dévasté le Poitou en cinq siècles. Outre la submersion temporaire qu’elle occasionne, chaque tempête voit le trait de côte reculer en de nombreux endroits de 10 mètres ou plus. Si l’État s’est impliqué de longue date dans la stabilisation du rivage charentais (dès l’implantation du grand arsenal maritime à Rochefort en 1666), la tempête Xynthia a mis en évidence les faiblesses des ouvrages de défense actuels qu’elle a endommagés ou submergés. Or, le changement climatique risque d’accentuer l’occurrence et l’intensité de tels phénomènes.
L’enseignement de Brouage
Nous avons culturellement une image « fixiste » de la position du trait de côte comme si celui-ci était immuable. Pourtant l’histoire récente nous apporte des contradictions notables comme dans le cas de Brouage.
À partir du XIVe siècle, le commerce du sel prit une dimension internationale à Brouage et ce port devint un des plus importants d’Europe pour le sel : jusqu’à 200 bateaux venaient y mouiller. Preuve de son intérêt stratégique, le roi Henri III en fit une ville royale et la fortifia en 1578. Mais au XVIIe siècle, la baisse du niveau de la mer et de l’envasement du petit estuaire à l’embouchure duquel elle était bâtie entraîna le déclin de Brouage : l’horizon maritime s’éloigna de plusieurs kilomètres pour laisser place à une étendue de marais. L’histoire de ce port maintenant au milieu des terres démontre s’il le fallait la fluctuation du rivage.
CONSÉQUENCES DE LA « BALNÉARISATION »
L’urbanisation du rivage, avec sa focalisation sur le front de mer, a entraîné une tension très importante sur quelques mètres d’épaisseur au point de faire de la défense côtière l’unique solution face aux assauts de la mer. Il est temps de déconstruire cet imaginaire balnéaire.



L’artificialisation progressive du littoral
Dans « Le territoire du vide : l’occident et le désir du rivage » (1988), Alain Corbin explique comment la vieille Europe tournait le dos à l’océan avant de devenir halophile. À l’image de la pratique antique du thermalisme, les vertus de l’eau salée sont reprises par l’aristocratie anglaise à partir du XVIIIe siècle. Cette mode traverse la Manche et la duchesse du Barry se baigne à Dieppe en 1814 où y seront construits les premiers bains chauds avant que cette pratique ne se répande à Boulogne (1825), à La Rochelle (1826) ou encore au Tréport (1830). C’est la naissance de la station balnéaire accompagnée par le séjour d’artistes - des écrivains comme Chateaubriand et des peintres comme Eugène Isabey - qui vont radicalement changer l’appréciation du littoral par leur vision romantique. Cette invention d’un paysage pittoresque s’accompagne de la construction d’un paysage réglé parallèlement au rivage : la grève devient « plage » et derrière la promenade du bord de mer s’alignent les villas, casino, bains… Et des projets de lotissements accompagnés de vastes opérations foncières.
Déjà, en 1810 un décret impérial imposait la « fixation » des dunes dans tous les départements littoraux. La fixation des dunes d’Escoublac (La Baule) fut menée à bien vers le milieu du siècle. Ce n’est qu’avec la construction de la ligne de chemin de fer allant de Saint-Nazaire au Croisic que le potentiel touristique de La Baule apparaît définitivement. Il suffit de superposer la carte d’État-major à la carte IGN actuelle pour comprendre que la profonde interface terre mer constituée par un système dunaire et saumâtre s’est réduite à un front de mer « durcifier » par l’urbanisation balnéaire. Avant l’édification des stations balnéaires, le système lunaire faisait office dans bien des cas de digue naturelle et sa mobilité permettait d’amortir sereinement la houle. La « durcification » du rivage et l’exposition accrue des biens et des personnes aux risques naturels ont considérablement accru la vulnérabilité de ces zones littorales.
Développements modernes
L’artifialisation du littoral repose donc sur deux ressorts : l’urbanisation du rivage d’une part, mais aussi - et peut-être avant tout - sur la construction d’un imaginaire littoral. Cette représentation s’est renforcée au fil du XXe siècle avec l’essor du tourisme et le marketing publicitaire tout en réduisant considérablement la variété des éléments de paysages à quelques archétypes : les plages sous un soleil estival, la mise en scène des belles villas faisant théâtralement face à l’océan, les sentiers des douaniers devenus lieux de promenade… Cette imagerie conditionne non seulement notre regard mais aussi notre rapport de proximité au rivage.
La promotion d’un tourisme populaire a considérablement accru les pressions anthropiques sur des milieux sensibles. Dans les années 1970, un nouvel élan est par exemple donné par la MIACA (mission interministérielle) pour l’aménagement de la côte aquitaine pour capter les milliers d’estivants qui avaient tendance à migrer sur les côtes espagnoles. Les aménagements planifiés confortent ou créent des stations balnéaires avec de nombreux programmes d’aménagement… Lacanau est exemplaire de ces stations aquitaines où l’érosion est trop forte : en 2040, la totalité du front de mer devrait être gagné par le recul du trait de côte. La commune expérimente actuellement une relocalisation dans le cadre de l’appel à projets national. Deux scénarios impossibles sont pour l’instant affichés : un immense enrochement à l’emplacement de l’actuel pour tenir face à l’océan ou au contraire une délocalisation des immeubles collectifs du front de mer pour reconstituer la dune d’ici 2040.
Se défendre contre la mer
Mais le questionnement de Lacanau ne reflète pas une démarche habituelle en matière de gestion du Trait de côte. La doctrine de lutte contre les risques littoraux reste majoritairement celle de la défense, art constructif pour s’opposer à l’érosion et à la submersion des côtes d’une altimétrie basse, meubles ou friables. La doctrine préconise des ouvrages lourds tels les épis, enrochements, brise-lames ou encore des digues et autres levées… De multiples ouvrages qui participent à la fabrication d’un bouclier contre la mer et la constitution d’un paysage défensif bien loin de l’idéal romantique.
Cette doctrine est initialement vertueuse en mettant successivement en avant trois principes : éviter le risque, résister pour retarder voire empêcher la pénétration de l’eau, céder en acceptant que l’eau pénètre, en mettant en place des mesures visant à réduire les dommages et le temps de retour à la normale. Dans les faits, c’est l’option de la résistance qui est quasiment toujours retenue. Or, une notion couramment utilisée en économie, l’aléa moral (ou moral hazard), désigne un effet pervers qui veut qu’un acteur, isolé d’un risque, se comporte différemment que s’il était exposé au risque. Le concept appliqué au cas d’espèce veut que l’entretien et la réalisation de nouvelles digues aient pour effet de laisser croire à une poursuite possible de l’urbanisation littorale.
Une nouvelle stratégie de gestion du littoral émerge consistant à vivre avec les aléas météo-marins pour mieux s’en protéger. Elle incite à repenser un système géographique hautement dynamique où interagissent rivage, littoral et rétro littoral.
Type : conférence
Objet : adaptation littorale au changement climatique
Date de réalisation : 2016
Lieu principal de réalisation : Paris
Commanditaire : Cité de l'architecture
Structure porteuse du projet : villefluctuante
Auteurs : Mireille Guiniard et Jean Richer
Objet : adaptation littorale au changement climatique
Date de réalisation : 2016
Lieu principal de réalisation : Paris
Commanditaire : Cité de l'architecture
Structure porteuse du projet : villefluctuante
Auteurs : Mireille Guiniard et Jean Richer